L'article
La promesse d’une venue du pape en Corse sonne comme une consécration pour François Bustillo, cardinal-évêque d’Ajaccio, qui développe une conception bien à lui des relations publiques, jusqu’à Paris
Bastia, Ajaccio- envoyée spéciale
Servez-vous, c’est offert », glisse François-Xavier Bustillo, radieux, avec cet inimitable accent mêlé qui signe à la fois sa naissance espagnole, l’éducation italienne de sa jeunesse franciscaine et, depuis trente ans, sa vie religieuse française. Quelle jolie soirée, ce 29 août, dans la douceur du soleil d’été déclinant sur Ajaccio. Les armoiries du cardinal – le blason de sa famille basquo-navarraise associé à une tête de Maure – sont tendues depuis le premier étage de l’évêché fraîchement restauré. Des tentes et de copieux buffets de spécialités corses sont dressés dans la cour pour la grosse centaine d’amis conviés à fêter la Légion d’honneur du prélat de 55 ans, objet en Corse d’une fascinante « Bustillomania » avant même son dernier titre de gloire : attirer le pape sur l’île.
Pour cette cérémonie, le cardinal a voulu faire les choses en grand. Il a établi lui-même la liste des invités, « personnels pour une soirée personnelle », peu de prêtres et de curés, mais toutes les figures du pouvoir dans l’île. La future ministre Catherine Vautrin, aujourd’hui chargée du dossier insulaire au sein du gouvernement Barnier, le préfet de Corse (nommé depuis préfet de Bretagne), le nouveau recteur, des gendarmes et des avocats, des patrons, sans oublier les élus de l’île (désormais en majorité nationalistes). « Rien que de lire les noms et leurs titres avant mon discours, ça m’a pris cinq minutes », plaisante le chef cuisinier Mathieu Pacaud.
C’est lui qui, « au nom du président de la République française », a remis au cardinal ses insignes de chevalier. Le jeune chef et l’homme d’Eglise se sont connus au Laurent, le restaurant parisien étoilé et huppé où Mathieu Pacaud officie et croise tout le monde politique français. « On se téléphone souvent, c’est devenu comme mon psy, dit le chef. Rarement quelqu’un m’a fait autant impression que lui, sauf peut-être Guillaume Gallienne, il y a vingt ans. Ce qui me frappe, c’est qu’il n’est jamais dans le jugement. »
Ce 29 août, la première présidente de la cour d’appel de Bastia, Hélène Davo, est absente. Une chance pour elle. Car, dans la petite assemblée, se trouve un homme plusieurs fois condamné devant les tribunaux corses : Paul Canarelli, le patron du sublime domaine hôtelier de Murtoli, un resort de bergeries de luxe posées entre Bonifacio et Sartène où aiment se cacher ministres, people mais aussi voyous en cavale. Son horizon est encombré : dans quelques mois, il sera convoqué au tribunal de Bastia, où est instruite une nouvelle affaire d’envergure visant Murtoli. Dans la cour de l’évêché, l’homme d’affaires côtoie le général de gendarmerie Jean-Luc Villeminey, dont les hommes sont chargés des enquêtes sur Murtoli. Mais comment imaginer que M. Canarelli « sponsorisait » ces agapes ?
« Qu’est-ce qu’il y a à bénir ? »
« J’ai demandé à Mathieu de me remettre la décoration et il s’est occupé du buffet », balaie avec calme François Bustillo, devant ses fenêtres ouvertes sur le golfe d’Ajaccio. Certains ont offert les vins, le domaine de Murtoli s’est occupé de la nourriture – « les fromages, les huiles d’olive, les bières… », confirme Paul Canarelli, ami de Mathieu Pacaud, qui a officié cinq étés durant à Murtoli. L’homme d’affaires est surtout ami du vicaire général d’Ajaccio et bras droit du cardinal Frédéric Constant, qui a régné des années sur l’extrême sud de l’île, avant de rejoindre, en 2021, François Bustillo à Ajaccio. C’est l’abbé Constant qui a fait découvrir Murtoli au cardinal, entre deux trajets en voiture. L’une des mille étapes d’un évêque qui, depuis trois ans et demi, sillonne l’île sans ménager sa peine ni sa Clio grise.
Plaine, montagnes, défilés dangereux… Il pousse jusqu’à des villages reculés, attentif à chaque nom et chaque visage, comme un élu en campagne. « Que pourrais-je dire aux Corses si je ne les connais pas ? », interroge-t-il. A l’annonce de sa venue les villageois accourent, avec lui les messes font le plein et se terminent joyeusement avec photos, selfies et corbeilles de beignets – sans jamais une goutte d’alcool pour lui. « Retrouver l’unité culturelle autour de la tradition catholique », aime dire le cardinal. Son mètre 90 et sa mitre, lors des processions, semblent servir de repère à une Corse qui se cherche.
François Bustillo ne fait pas seulement des pèlerinages. Il dit aussi des « messes au sommet » sur des promontoires rocheux, fait fondre et couler des cloches, consacre des églises et fait ouvrir leurs portes – comme celle de la cathédrale d’Ajaccio, qu’il déteste voir fermée. « Qu’est-ce qu’il y a à bénir ? », demande-t-il en arrivant quelque part. Tout : maisons et bébés, bien sûr, mais aussi croix en montagne, et même, surprise ! en octobre 2023, à Ajaccio, le nouveau siège social du Crédit agricole de la Corse, en présence du président de la chambre de commerce. « Quand je suis arrivé, j’ai appris à bénir des bateaux. Je pense que la laïcité n’est pas la même en Belgique, sur le continent ou ici. Je suis le mouvement, je me suis adapté. »
Toute la carrière du Franco-Espagnol, après le petit séminaire (à 11 ans) près d’Espelette (Pyrénées-Atlantiques) et un passage chez les franciscains de Padoue, s’est déroulée dans l’Aude, une terre à forte tradition anticléricale. Quelle différence avec la Corse ! Ici, 90 % des habitants se disent catholiques, les bougies à l’effigie de la Vierge se vendent au Monoprix et les confréries abondent. « La Corse est une île de bergers et de pasteurs », a-t-il répété au pape, il y a quelques jours à Rome. « Je ne suis pas un homme de structures, dit ce fils de militaire. L’image que j’ai d’un évêque n’est pas celle d’un homme enfermé dans un bureau avec ses mémés catholiques. » En 2021, François Bustillo a publié La Vocation du prêtre face aux crises (Nouvelle Cité), un petit livret remarqué, dit-on, par le pape lui-même. Quand, en septembre 2023, Nicolas Diat, éditeur chez Fayard, a l’idée de faire dialoguer le numéro trois du Vatican Edgar Peña Parra avec un évêque de « terrain », c’est Bustillo qui est choisi.
Le Cœur ne se divise pas (Fayard, 2023) installe une solide amitié et l’assurance d’un lien privilégié avec le Vatican. Avec la « promo » commence l’ascension médiatique du jeune évêque. Il court les matinales des radios, s’affiche en une de Paris Match et de Valeurs actuelles, apparaît en robe de bure sur le plateau de « Quelle époque » face à Léa Salamé. Enfin un homme d’Eglise jeune et cool, qui raffole de la nage, du volley et du tennis, et n’a pas peur des réseaux sociaux. Jusqu’à poster, le 12 avril, sur son compte Instagram personnel une photo de lui (en pantalon et blouson) à Monaco, entre un tennisman italien et la cousine du prince Albert sur… un photocall siglé « Rolex », le sponsor du tournoi. Un jour plus tard, le cliché est effacé.
Les vidéos de sa création comme cardinal, à Rome, continuent, elles, de tourner. Quel événement ! Le 30 septembre 2023, trois avions spécialement affrétés emmènent fidèles, presse et élus dans les salons de l’ambassade de France près le Saint-Siège. Le lendemain, place Saint-Pierre, la clameur des 800 Corses venus de l’île, au moment où François Bustillo reçoit la barrette cardinalice, surprend le pape lui-même. « U cardinale » est le plus jeune des quatre cardinaux français, son triomphe rejaillit sur l’île. « Je considère qu’il faut redonner à la Corse des raisons d’être fière », explique François Bustillo.
Son agenda s’affole. Car le cardinal veut connaître tous les milieux, politiques, médiatiques et économiques. « Rencontrer des patrons, je considère que c’est très important », nous confirme-t-il. Il s’appuie sur de jeunes élus qui lui organisent des « réunions d’appartement » avec des chefs d’entreprise. Le 10 octobre, à Ajaccio, lors de la visite de Patrick Martin, président du Medef, à ses adhérents corses, ces derniers ont la surprise de voir François Bustillo les rejoindre pour s’attabler avec eux à la terrasse d’un bar du cours Napoléon.
Le bar en question est aussi le QG de Mossa Palatina, un jeune mouvement politique nationaliste d’extrême droite violemment hostile à l’immigration et soucieux de préserver « l’identité chrétienne » de la Corse. François Bustillo a délégué à son « numéro deux », l’abbé Constant, la gestion délicate de cette jeunesse qui repeuple les églises de la ville. A Bastia, c’est sur Pierre-Jean Franceschi qu’il s’appuie pour le guider dans les paroisses du nord de l’île. Ce laïc très populaire est l’un des seuls à savoir dire des messes d’enterrement en langue corse et, parce qu’il a été aumônier à la prison de Borgo, est au fait de toutes les histoires de voyous. « Pierre-Jean » suit le cardinal à Rome comme à Lourdes, y compris après sa garde à vue, en avril, pour l’emploi non déclaré d’une « femme à tout faire » dans sa propriété de Penta-di-Casinca (Haute-Corse), qui fait office de maison de retraite.
Pas toujours facile, en Corse, quand on veut se faire adopter, de prendre des distances ou de refuser des sollicitations. Le trio est monté plusieurs fois à Venzolasca (Haute-Corse), le village de l’abbé Constant. Le cardinal y a mangé avec son maire, Balthazar Federici, frère du chef des « bergers braqueurs » – détenu depuis 2008 après un sanglant règlement de comptes à Marseille – qui, de leur prison, continuent de tirer des ficelles. « C’est alors le maire que je rencontre », rétorque le cardinal. Même chose pour Michel Tomi, un parrain à la tête d’un empire de jeux en Afrique, et que le cardinal est allé saluer cet été, dans son fauteuil roulant, à Tasso (Corse-du-Sud). « Je suis monté pour des confirmations. D’une manière générale, je n’ai pas l’habitude de réclamer leurs CV aux personnes qu’on me présente avant de les saluer. »
« Mon peuple »
Sa manière de dire « mon peuple » enchante la Corse, à commencer par les nationalistes. « A sa messe d’ordination, il a parlé corse deux longues minutes, alors qu’il venait d’arriver. Il a compris très vite comment fonctionne notre société », souligne l’ancien dirigeant indépendantiste Jean-Guy Talamoni, qui enseigne aujourd’hui l’histoire des idées et de la littérature à l’université de Corte (Haute-Corse). Immédiatement séduit par ce prélat « latin », il discute souvent avec lui de l’influence des Lumières italiennes sur l’île. La petite phrase lâchée en janvier par François Bustillo au site Corse Net Infos, en plein bras de fer institutionnel avec Paris, n’est pas passée inaperçue : « La Corse doit retrouver son autonomie, sa liberté et sa capacité à gérer sa vie politique. » Seuls les derniers « antinatios » de l’île ont bondi, tel l’ancien adjoint aux finances de la mairie de Bastia et agrégé d’histoire Ange Rovere, qui s’est fendu d’une lettre ouverte au cardinal pour lui reprocher « de ne pas rassembler tous les Corses avec de telles prises de position partisanes ». Sans réponse.
« J’aime beaucoup la politique. J’ai toujours aimé, confesse le cardinal, mais je vous assure, je ne suis pas doué pour le pouvoir. » Invité au Laurent, il a fait connaissance avec François Hollande. Il a déjà rencontré Laurent Wauquiez lors des « rencontres franciscaines » qu’il organisait autour de figures politiques dans son diocèse de Narbonne (Aude). Est venu rencontrer Raphaël Glucksmann cet été dans le cap Corse. Vient de débattre à l’université de Corte avec Philippe Guglielmi, l’ancien grand maître du Grand Orient de France, et Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris. En décembre 2023, il a été reçu par Emmanuel Macron pour un discret tête-à-tête. A l’Elysée, on se souvient qu’il avait fallu mettre une voiture à disposition du cardinal pour qu’il puisse rejoindre le boulevard de Montmorency où Vincent Bolloré l’attendait « pour un café », convient François Bustillo. Qui reste par ailleurs au mieux avec la famille Saadé, propriétaire de l’incontournable Corse-Matin, euphorique, comme toute l’île, par l’invitation lancée par « son » cardinal.
Ariane Chemin
Bastia, Ajaccio- envoyée spéciale
Servez-vous, c’est offert », glisse François-Xavier Bustillo, radieux, avec cet inimitable accent mêlé qui signe à la fois sa naissance espagnole, l’éducation italienne de sa jeunesse franciscaine et, depuis trente ans, sa vie religieuse française. Quelle jolie soirée, ce 29 août, dans la douceur du soleil d’été déclinant sur Ajaccio. Les armoiries du cardinal – le blason de sa famille basquo-navarraise associé à une tête de Maure – sont tendues depuis le premier étage de l’évêché fraîchement restauré. Des tentes et de copieux buffets de spécialités corses sont dressés dans la cour pour la grosse centaine d’amis conviés à fêter la Légion d’honneur du prélat de 55 ans, objet en Corse d’une fascinante « Bustillomania » avant même son dernier titre de gloire : attirer le pape sur l’île.
Pour cette cérémonie, le cardinal a voulu faire les choses en grand. Il a établi lui-même la liste des invités, « personnels pour une soirée personnelle », peu de prêtres et de curés, mais toutes les figures du pouvoir dans l’île. La future ministre Catherine Vautrin, aujourd’hui chargée du dossier insulaire au sein du gouvernement Barnier, le préfet de Corse (nommé depuis préfet de Bretagne), le nouveau recteur, des gendarmes et des avocats, des patrons, sans oublier les élus de l’île (désormais en majorité nationalistes). « Rien que de lire les noms et leurs titres avant mon discours, ça m’a pris cinq minutes », plaisante le chef cuisinier Mathieu Pacaud.
C’est lui qui, « au nom du président de la République française », a remis au cardinal ses insignes de chevalier. Le jeune chef et l’homme d’Eglise se sont connus au Laurent, le restaurant parisien étoilé et huppé où Mathieu Pacaud officie et croise tout le monde politique français. « On se téléphone souvent, c’est devenu comme mon psy, dit le chef. Rarement quelqu’un m’a fait autant impression que lui, sauf peut-être Guillaume Gallienne, il y a vingt ans. Ce qui me frappe, c’est qu’il n’est jamais dans le jugement. »
Ce 29 août, la première présidente de la cour d’appel de Bastia, Hélène Davo, est absente. Une chance pour elle. Car, dans la petite assemblée, se trouve un homme plusieurs fois condamné devant les tribunaux corses : Paul Canarelli, le patron du sublime domaine hôtelier de Murtoli, un resort de bergeries de luxe posées entre Bonifacio et Sartène où aiment se cacher ministres, people mais aussi voyous en cavale. Son horizon est encombré : dans quelques mois, il sera convoqué au tribunal de Bastia, où est instruite une nouvelle affaire d’envergure visant Murtoli. Dans la cour de l’évêché, l’homme d’affaires côtoie le général de gendarmerie Jean-Luc Villeminey, dont les hommes sont chargés des enquêtes sur Murtoli. Mais comment imaginer que M. Canarelli « sponsorisait » ces agapes ?
« Qu’est-ce qu’il y a à bénir ? »
« J’ai demandé à Mathieu de me remettre la décoration et il s’est occupé du buffet », balaie avec calme François Bustillo, devant ses fenêtres ouvertes sur le golfe d’Ajaccio. Certains ont offert les vins, le domaine de Murtoli s’est occupé de la nourriture – « les fromages, les huiles d’olive, les bières… », confirme Paul Canarelli, ami de Mathieu Pacaud, qui a officié cinq étés durant à Murtoli. L’homme d’affaires est surtout ami du vicaire général d’Ajaccio et bras droit du cardinal Frédéric Constant, qui a régné des années sur l’extrême sud de l’île, avant de rejoindre, en 2021, François Bustillo à Ajaccio. C’est l’abbé Constant qui a fait découvrir Murtoli au cardinal, entre deux trajets en voiture. L’une des mille étapes d’un évêque qui, depuis trois ans et demi, sillonne l’île sans ménager sa peine ni sa Clio grise.
Plaine, montagnes, défilés dangereux… Il pousse jusqu’à des villages reculés, attentif à chaque nom et chaque visage, comme un élu en campagne. « Que pourrais-je dire aux Corses si je ne les connais pas ? », interroge-t-il. A l’annonce de sa venue les villageois accourent, avec lui les messes font le plein et se terminent joyeusement avec photos, selfies et corbeilles de beignets – sans jamais une goutte d’alcool pour lui. « Retrouver l’unité culturelle autour de la tradition catholique », aime dire le cardinal. Son mètre 90 et sa mitre, lors des processions, semblent servir de repère à une Corse qui se cherche.
François Bustillo ne fait pas seulement des pèlerinages. Il dit aussi des « messes au sommet » sur des promontoires rocheux, fait fondre et couler des cloches, consacre des églises et fait ouvrir leurs portes – comme celle de la cathédrale d’Ajaccio, qu’il déteste voir fermée. « Qu’est-ce qu’il y a à bénir ? », demande-t-il en arrivant quelque part. Tout : maisons et bébés, bien sûr, mais aussi croix en montagne, et même, surprise ! en octobre 2023, à Ajaccio, le nouveau siège social du Crédit agricole de la Corse, en présence du président de la chambre de commerce. « Quand je suis arrivé, j’ai appris à bénir des bateaux. Je pense que la laïcité n’est pas la même en Belgique, sur le continent ou ici. Je suis le mouvement, je me suis adapté. »
Toute la carrière du Franco-Espagnol, après le petit séminaire (à 11 ans) près d’Espelette (Pyrénées-Atlantiques) et un passage chez les franciscains de Padoue, s’est déroulée dans l’Aude, une terre à forte tradition anticléricale. Quelle différence avec la Corse ! Ici, 90 % des habitants se disent catholiques, les bougies à l’effigie de la Vierge se vendent au Monoprix et les confréries abondent. « La Corse est une île de bergers et de pasteurs », a-t-il répété au pape, il y a quelques jours à Rome. « Je ne suis pas un homme de structures, dit ce fils de militaire. L’image que j’ai d’un évêque n’est pas celle d’un homme enfermé dans un bureau avec ses mémés catholiques. » En 2021, François Bustillo a publié La Vocation du prêtre face aux crises (Nouvelle Cité), un petit livret remarqué, dit-on, par le pape lui-même. Quand, en septembre 2023, Nicolas Diat, éditeur chez Fayard, a l’idée de faire dialoguer le numéro trois du Vatican Edgar Peña Parra avec un évêque de « terrain », c’est Bustillo qui est choisi.
Le Cœur ne se divise pas (Fayard, 2023) installe une solide amitié et l’assurance d’un lien privilégié avec le Vatican. Avec la « promo » commence l’ascension médiatique du jeune évêque. Il court les matinales des radios, s’affiche en une de Paris Match et de Valeurs actuelles, apparaît en robe de bure sur le plateau de « Quelle époque » face à Léa Salamé. Enfin un homme d’Eglise jeune et cool, qui raffole de la nage, du volley et du tennis, et n’a pas peur des réseaux sociaux. Jusqu’à poster, le 12 avril, sur son compte Instagram personnel une photo de lui (en pantalon et blouson) à Monaco, entre un tennisman italien et la cousine du prince Albert sur… un photocall siglé « Rolex », le sponsor du tournoi. Un jour plus tard, le cliché est effacé.
Les vidéos de sa création comme cardinal, à Rome, continuent, elles, de tourner. Quel événement ! Le 30 septembre 2023, trois avions spécialement affrétés emmènent fidèles, presse et élus dans les salons de l’ambassade de France près le Saint-Siège. Le lendemain, place Saint-Pierre, la clameur des 800 Corses venus de l’île, au moment où François Bustillo reçoit la barrette cardinalice, surprend le pape lui-même. « U cardinale » est le plus jeune des quatre cardinaux français, son triomphe rejaillit sur l’île. « Je considère qu’il faut redonner à la Corse des raisons d’être fière », explique François Bustillo.
Son agenda s’affole. Car le cardinal veut connaître tous les milieux, politiques, médiatiques et économiques. « Rencontrer des patrons, je considère que c’est très important », nous confirme-t-il. Il s’appuie sur de jeunes élus qui lui organisent des « réunions d’appartement » avec des chefs d’entreprise. Le 10 octobre, à Ajaccio, lors de la visite de Patrick Martin, président du Medef, à ses adhérents corses, ces derniers ont la surprise de voir François Bustillo les rejoindre pour s’attabler avec eux à la terrasse d’un bar du cours Napoléon.
Le bar en question est aussi le QG de Mossa Palatina, un jeune mouvement politique nationaliste d’extrême droite violemment hostile à l’immigration et soucieux de préserver « l’identité chrétienne » de la Corse. François Bustillo a délégué à son « numéro deux », l’abbé Constant, la gestion délicate de cette jeunesse qui repeuple les églises de la ville. A Bastia, c’est sur Pierre-Jean Franceschi qu’il s’appuie pour le guider dans les paroisses du nord de l’île. Ce laïc très populaire est l’un des seuls à savoir dire des messes d’enterrement en langue corse et, parce qu’il a été aumônier à la prison de Borgo, est au fait de toutes les histoires de voyous. « Pierre-Jean » suit le cardinal à Rome comme à Lourdes, y compris après sa garde à vue, en avril, pour l’emploi non déclaré d’une « femme à tout faire » dans sa propriété de Penta-di-Casinca (Haute-Corse), qui fait office de maison de retraite.
Pas toujours facile, en Corse, quand on veut se faire adopter, de prendre des distances ou de refuser des sollicitations. Le trio est monté plusieurs fois à Venzolasca (Haute-Corse), le village de l’abbé Constant. Le cardinal y a mangé avec son maire, Balthazar Federici, frère du chef des « bergers braqueurs » – détenu depuis 2008 après un sanglant règlement de comptes à Marseille – qui, de leur prison, continuent de tirer des ficelles. « C’est alors le maire que je rencontre », rétorque le cardinal. Même chose pour Michel Tomi, un parrain à la tête d’un empire de jeux en Afrique, et que le cardinal est allé saluer cet été, dans son fauteuil roulant, à Tasso (Corse-du-Sud). « Je suis monté pour des confirmations. D’une manière générale, je n’ai pas l’habitude de réclamer leurs CV aux personnes qu’on me présente avant de les saluer. »
« Mon peuple »
Sa manière de dire « mon peuple » enchante la Corse, à commencer par les nationalistes. « A sa messe d’ordination, il a parlé corse deux longues minutes, alors qu’il venait d’arriver. Il a compris très vite comment fonctionne notre société », souligne l’ancien dirigeant indépendantiste Jean-Guy Talamoni, qui enseigne aujourd’hui l’histoire des idées et de la littérature à l’université de Corte (Haute-Corse). Immédiatement séduit par ce prélat « latin », il discute souvent avec lui de l’influence des Lumières italiennes sur l’île. La petite phrase lâchée en janvier par François Bustillo au site Corse Net Infos, en plein bras de fer institutionnel avec Paris, n’est pas passée inaperçue : « La Corse doit retrouver son autonomie, sa liberté et sa capacité à gérer sa vie politique. » Seuls les derniers « antinatios » de l’île ont bondi, tel l’ancien adjoint aux finances de la mairie de Bastia et agrégé d’histoire Ange Rovere, qui s’est fendu d’une lettre ouverte au cardinal pour lui reprocher « de ne pas rassembler tous les Corses avec de telles prises de position partisanes ». Sans réponse.
« J’aime beaucoup la politique. J’ai toujours aimé, confesse le cardinal, mais je vous assure, je ne suis pas doué pour le pouvoir. » Invité au Laurent, il a fait connaissance avec François Hollande. Il a déjà rencontré Laurent Wauquiez lors des « rencontres franciscaines » qu’il organisait autour de figures politiques dans son diocèse de Narbonne (Aude). Est venu rencontrer Raphaël Glucksmann cet été dans le cap Corse. Vient de débattre à l’université de Corte avec Philippe Guglielmi, l’ancien grand maître du Grand Orient de France, et Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris. En décembre 2023, il a été reçu par Emmanuel Macron pour un discret tête-à-tête. A l’Elysée, on se souvient qu’il avait fallu mettre une voiture à disposition du cardinal pour qu’il puisse rejoindre le boulevard de Montmorency où Vincent Bolloré l’attendait « pour un café », convient François Bustillo. Qui reste par ailleurs au mieux avec la famille Saadé, propriétaire de l’incontournable Corse-Matin, euphorique, comme toute l’île, par l’invitation lancée par « son » cardinal.
Ariane Chemin